Introduction
Sur Somelody [1], il existe des « cycles ». Selon une croyance religieuse, chaque être vivant aurait son cycle, son destin. Rien ne peut le changer, seulement le retarder.
Bien des Somelodiens [2] ont tenté d'éviter leur destin tragique, cependant nul n'y est parvenu.
Dans un petit village au bord de la mer réside une jeune fille du nom de Saliéka [3].
Pour elle, deux cycles sont possibles: le Rouge et le Bleu.
Quel est son cycle ?
[Cycle Rouge ~ Cycle de la Haine]
« …ka. »
Mes yeux aigue-marine s’ouvrent sur le plafond en bois de notre chambre. Je me retourne doucement dans mon petit lit baldaquin et je referme mes yeux. Je ne veux pas me réveiller tout de suite.
« …éka ! »
Je rouvre les yeux et je me lève doucement, à contrecœur. Au loin, je vois Mérivia [4], ma jeune sœur, sur son lit. Ses yeux outremer sont grand ouverts. Nous somme toute les deux blondes.
« Saliéka, vas-tu te lever bientôt ? » Me demande ma sœur. « Tu es censée aider papa et maman aujourd’hui. »
Je pousse un cri de rage. Comment ose-t-elle me réveiller pour une raison aussi stupide !?
« Je ne veux pas travailler à la boutique ! » Lui rétorqué-je.
« Mais… »
« Il ne se passe jamais rien d’intéressant, comme dans le reste de ce putain de village ! »
Les yeux de Mérivia s’écarquillent. Elle fait toujours cette tête quand je parle vulgaire.
« Saliéka, tu ne devais pas parler comme ça. »
« Pourquoi ? » Demandé-je à ma tannante de sœur. « Je ne suis plus une enfant ! J’ai eu 16 ans hier ! »
Mérivia ne me répond pas. Je continue de parler.
« Ce qui veut dire... BORDEL DE MERDE ! »
16 ans. J’avais complètement oublié. C’est l'âge où toutes les filles de notre village doivent se marier. Selon mes parents, c’est une vieille tradition sacrée. Une tradition stupide, plutôt ! Surtout que la plupart des mariages sont arrangés. Je ne veux pas épouser un inconnu ! Je ne veux même pas vivre avec un homme ! J’aime les filles. Avant, je pensais aimer les garçons, mais depuis qu’ELLE m’a sauvée, je—
« Saliéka ? »
Mérivia avait remarqué ma rêverie, ou plutôt mes réflexions profondes.
« Tout va b— ? »
« LA FERME ! »
Elle se retient de pleurer. Je l’ignore. Mérivia a 12 ans, mais c’est une vraie gamine et elle est idiote. Tout comme Tirara [5], d’ailleurs.
Je me lève et je retire ma chemise de nuit blanche et usée pour m’habiller. Normalement, je devrais porter ma vieille robe noire avec un tablier, la tenue pour le travail à la boutique familiale, mais au lieu de cela, je me mets en tenue légère. Une robe bleue très décolletée. Ma sœur était en train de me reprocher que je ne devrais pas m'habiller ainsi lorsque je quittais la chambre en claquant la porte. Ce qu'elle est bête !
En descendant les escaliers menant au rez-de-chaussée, car les chambres sont au premier étage, j’entends maman me crier quelque chose. Sans doute de ne pas me disputer avec ma sœur. Je vais la trouver dans la cuisine.
« Maman ? »
« Saliéka. Oh, Saliéka, qu’es-tu devenue ? Tu étais si gentille quand tu étais petite et maintenant— »
« Je ne veux pas entendre tes leçons, maman ! Je suis seulement venue te dire que je ne veux pas me marier ! »
« Là, c’est le bouquet !!! » S’exclame maman. « J’ai enduré tes caprices pendant des années— »
« Mes ‘‘caprices’’ ? »
De quoi parle-t-elle ?
« Ton langage sale, tes tenues dignes d’une prostituée, ton manque de respect à ta propre famille, tes heures à vagabonder plutôt qu’à nous aider à la boutique… MAIS ÇA SUFFIT ! TU VAS TE MARIER OU TU VAS VIVRE À LA RUE ! »
« T-Tu ne peut pas me faire ça !!! »
« Oh si, je le peux ! D’ailleurs, ton père et moi, nous t'avons trouvé le mari idéal. »
« MEEEEEEEEEEEEEERDE ! C’est qui ? »
Maman me dit un nom et ma colère s’efface pour laisser place à la surprise. Liu [6]. Le fils du mystérieux Pêcheur. Lui et son père sont les seuls qui parviennent à voguer sur l’océan Socean [7] sans se faire dévorer par les Sirinaid [8].
C’est un beau jeune homme, mais ses cheveux courts sont d’une étrange couleur. Un orange vif. ELLE aussi avait une drôle de couleur de cheveux. Un rouge cerise.
« Tar— Liu ? Veux-tu que j’épouse Liu ? » Demandé-je.
« Oui. » Réponds ma mère. « Il est beau, humble, et il t’aime bien. »
Ça, c’est elle qui le dit. Nous nous parlons à peine, Liu et moi.
« Peu importe ! Tu peux me menacer tant que tu veux, je ne vais pas me marier ! »
Maman s'apprêtait à me crier quelque chose alors que je quittai la maison en courant. Sans perdre de temps, je me dirige vers la plage. C’est là où je vais quand je veux me détendre… et être seule.
En chemin, je croise Tirara. Elle batifole avec un garçon. La tarée. Elle perd son temps à courir après des mecs qui ne veulent pas d’elle. Elle dit être ma meilleure amie et elle veut passer du temps avec moi – quand elle n’est pas partie à la chasse aux garçons – mais, moi, je me fous bien d’elle.
Elle ne compte pas pour moi. Une seule personne compte pour moi. ELLE.
J’arrive à la plage et, en regardant la mer, les souvenirs du passé refont surface. J’étais toute petite. J’avais… 7-8 ans? Et je regardais la mer. Maman et papa m’ont toujours dit de ne jamais me baigner dans la mer à cause des Sirinaid. Pourtant, je sais nager, car il y a un petit lac dans une forêt à l’Est de Closehant [9].
Ce jour-là, je voulais désobéir à mes parents, alors je me suis baigné dans la mer. Au début, tout allait bien, puis j’avais entendu un chant. Sans me contrôler, j’ai plongé et l’eau remplissait mes poumons. Je me noyais… J’ai perdu connaissance.
Quand je suis revenue à moi, j'étais allongé sur la plage et une femme m'observait. Une femme nue aux longs cheveux rouge cerise.
« Oh, pardon ! » Me dit la femme. « J’ai perdu mes vêtements aux griffes des Sirinaid quand je t’ai sauvée. »
Étrangement, son corps n’avait pas de marque de griffures ou de morsures.
« Je m’appelle Taralise [10]. Je… Je voyage beaucoup. Tu t’appelles comment? »
C’est comme ça que je l’ai rencontré. Taralise. Je l’ai revue plusieurs fois depuis car elle vient souvent à Closehant pendant ses voyages. Depuis qu’elle m’a sauvé la vie, j’ai – comment dire? – j’ai changé. Je me fous de tout, sauf d’ELLE. Je voudrais être avec ELLE…
Je hais aussi la mer et les Sirinaid. Ces saloperies ont trop tué, surtout les imbéciles qui tentent de franchir Socean pour atteindre Seahant [11]. Selon une légende, il y aurait un trésor là-bas. Je continue de regarder la mer quand j’entends une voix m’appeler.
Pensant qu’il s’agit de ma sœur ou ma mère, je me retourne brusquement et je me mets à hurler les insultes les plus cinglantes qui me passent par la tête.
« Woooooo, Saliéka ! C’est moi, Liu. »
« … Oh. »
« Tu n’es pas d’humeur, à ce que je vois. Un souci ? »
« Ce ne sont pas tes affaires ! »
« HÉ !!! Du respect ou je vais m’en aller sans te parler de Taralise ! »
Quand Liu a prononcé le nom de Taralise, mon cœur s'est arrêté l'espace d'un instant.
« Alors ? » Me demande-t-il.
« … Désolée… Ça va ? T’es content maintenant ? »
Il me sourit. Cela n’a aucun effet sur moi.
« J’ai vu Taralise il n’y a pas longtemps. » Dis Liu.
« Où ça ? » Lui demandé-je.
Je dois la voir. Je dois lui parler. Je dois… l’épouser. Oui, je dois l’épouser. Je l’aime. Je ne sais pas pourquoi, mais je l’aime à la folie. Au diable ma famille ! Je vais vivre le restant de mes jours avec ma belle Taralise.
« Au quai. Elle voulait se rendre à Seahant. »
« Sur l’île ? Pourquoi diable irait-elle là-bas ? Pour le trésor ? »
« En fait… » Dis Liu, « ce n’est pas la première fois qu’elle se rend là-bas."
« HEIN ? Quoi ? Comment ? »
Dans toutes les conversations que nous avons eues, elle ne m’a jamais parlé de Seahant. Maintenant que j’y repense, je ne sais pas grand-chose sur elle. Je sais qu’elle voyage beaucoup, qu’elle aime le bleu, les poissons… C’est tout.
« Oui. » Dis le fils du pêcheur. « Mon père a toujours refusé de l’emmener alors elle s’est toujours débrouillée seule. C’est quand même incroyable. Elle arrive à survivre aux Sirinaid— »
« Et toi et ton père, comment survivez-vous aux Sirinaid ? »
Liu semble nerveux. Il bouge légèrement des pieds et il se gratte la tête. Il y a une drôle de lueur dans son regard et je suis sûr de l’avoir déjà vue avant. Dans les yeux de Taralise.
« Mon père et moi… les Sirinaid… nous avons un point commun. »
« Un point commun ? »
Il refuse de m’en dire plus. La lueur dans son regard à disparue.
« Bon, » me dit Liu « je dois retourner au quai. À plus t— »
« Attends ! Je… Je dois aller à Seahant. Veux-tu m’emmener— ? »
« Savais-tu que ta famille veut que je t’épouse ? »
« BORDEL DE M— ! » Hurlé-je. « Oui, je le sais. Quoi ? Veux-tu m’épouser ? »
« Oui... mais je sais que c’est impossible. Ton cycle— »
« T’as dit quoi, là ? »
« Rien et reste respectueuse ou je ne vais pas t’amener à l’île ! » S’exclame le fils du pêcheur.
« C-Comprit ! » Dis-je rapidement à Liu.
« Bon. Viens au quai cette nuit et nous partirons. »
« Cette nuit ? Mais je veux partir tout de suite ! »
« Impossible. Les Sirinaid sont très actives pendant le jour. Pour maximiser nos chances de survie, il faut naviguer de nuit. »
Je fais la moue mais Liu reste inflexible. Je retourne chez moi, à contrecœur. Les parents ne sont pas là. Ils doivent travailler à la boutique. Je ne vois pas Mérivia non plus. C’est parfait !
J’attends la nuit (ce que c’est LOOOOOOOOONG!) et je vais rejoindre Liu au quai. Mérivia a bien tenté de m’arrêter, mais une bonne gifle la remise à sa place. L’idiote.
« Te voilà ! » Dis Liu. « Bon, on va prendre le bateau de mon vieux. »
« Tu lui voles son rafiot ? »
« Ne sois pas méchante ! Son bateau est en très bon état et je ne le vole pas. J’ai dû le convaincre, mais il a accepté que je t’emmène. Allez, cap vers l’île ! »
Nous montons à bord et le bateau navigue lentement sur l’océan. Liu est à la proue et je me tiens à ses côtés.
« C’est TROOOP lent ! » Dis-je, agacée. « Tu ne peux pas aller plus vite ? »
« Non, cela va attirer les Sirinaid. » M’explique Liu. « En parlant de ces créatures, je fais mieux de t’enseigner des trucs de survie. Tout d’abord— »
Bla-bla-bla. Ce que c’est long et chiant !
« Saliéka ? »
« Quoi ? »
« Tu n’as rien écouté… idiote. »
« HÉ ! NE ME TRAITE PAS D’IDIOTE ! »
Liu soupire et, soudain, j’entends un gros boum."
« Qu’est-ce que... ? » Demandé-je.
Liu va voir et je l’entends crier une insulte. Il revient vers moi en courant.
« Une Sirinaid s’est accrochée sur le bateau ! » Me dit-il. « D’autres vont la rejoindre bientôt ! »
« MERDE ! » Crié-je.
« Viens vite ! »
Liu m'emmène vers la poupe et il s’empare d’un arc et d’un carquois rempli de flèches. Il me fait signe d’en prendre un.
« Non, non, NON, NON ! Je ne vais pas combattre ces trucs !!! »
« SALIÉKA ! »
« Je ne sais pas tirer à l’arc ! »
Le visage de Liu devient rouge de rage et l’étrange lueur revient dans son regard. Il me dit une chose tellement vulgaire que j’en reste sur mon derrière. Je ne pensais pas qu’il était capable d’un tel langage.
« Maintenant, tu vas arrêter de faire ta connasse et tu vas m’aider ! »
La lueur disparait de ses yeux et il va tirer une flèche sur la Sirinaid, la faisant tomber du bateau. D’autres créatures arrivent en renfort et j’aide Liu tant bien que mal. Je gaspille rapidement toutes mes flèches. Quand Liu vient aussi à court, et que les Sirinaid continuent de venir, je lui hurle que nous allons mourir.
« C’EST PAS JUSTE !!! »
« Pourquoi voulais-tu aller sur l’île ? » Me demande Liu. « Pour le trésor ? »
« NON, JE VOULAIS LA RETROUVER ! »
« Taralise ? »
« C’est l’amour DE MA VIE ! »
Liu baisse son regard vers les planches du bateau.
« L’amour de ta vie, hein ? » Me dit Liu. « Si seulement tu savais… »
« ??? »
« Ton cycle… un cycle de Haine… T’es vraiment une idiote ! »
Soudain, il se laisse tomber à genoux et il pousse quatre longues notes. Sans que je comprenne pourquoi, les Sirinaid s’enfuient. Liu se relève et, sans rien dire, retourne à la proue. Le bateau reprend son chemin et je vois l’île se rapprocher de plus en plus.
Dès que le bateau accoste, je débarque sans remercier Liu et je pars à la recherche de Taralise. Après tout, c’est la seule personne qui compte pour moi.
« TARALISE, OÙ ES-TU ? »
« Saliéka ? J’ARRIVE ! »
Elle arrive devant moi, sa peau claire recouverte d’un simple drap blanc, et j’ai l’impression de fondre.
« Que… ? Pourquoi es-tu ici ? » Me demande Taralise.
Tout s’accélère en moi. Je dois lui révéler mes sentiments et VITE !
« Depuislejouroùtum’assauvéjepensesouventàtoi— »
« Attends, attends, doucement ! »
« Jet’aimejen’aimepersonned’autrejeveuxêtretafemmeveut-tum’épouser ? »
« Quoi ? »
« JE T’AIME, JE T’AIME, JE T’AIME, JE T’AIME, JE T’AIME, JE T’AIME !!! »
Taralise semble surprise. Je ne comprends pas pourquoi.
« Je ne comprends pas. Tu… M’aimes-tu ? » Me demande-t-elle.
« Oui ! » Je lui dis aussitôt.
« M’aimes-tu *vraiment* ? »
« OUI ! »
« On se connait à peine— »
« Je veux vivre avec toi ! »
Je perds tout contrôle.
« Je veux t’épouser !!! »
« Saliéka— »
« Viens en moi, Taralise ! »
J’arrache ma robe, j’ôte mes sous-vêtements, et je me couche sur le sol rugueux.
« Je suis prête ! »
Elle s’approche de moi. Mon corps nu tremble d’excitation, mais Taralise ne réagit pas comme je l’attendais. Son visage devient aussi froid que de la pierre. Sa voix, autrefois douce, est gutturale et de sa bouche ne sort que de la colère.
« Pourquoi !? Pourquoi ne l'ai-je pas remarqué avant !? » Dis Taralise. « Quand je t’ai sauvé la vie… j’ai retardé ton heure, tout en t’ensorcelant ! »
Son apparence change. Ses cheveux deviennent noirs. Sa peau passe du rosé au gris.
« Une ‘‘mort dans l’eau’’. C’est ton cycle, ton destin. Rien ne peut le changer, seulement le retarder ! »
Elle jette son drap blanc et je vois des écailles noires sur sa poitrine, même sur ses seins.
« Je peux sentir les cycles des Somelodiens, tout comme mon peuple, les Sirinaid. »
Taralise est l’une d’entre eux.
« Je suis Taralong [12], la grande sœur de Celeong [13], et je suis devenue une Somelodiene pour la retrouver ! »
Malgré sa métamorphose, et le fait que j’étais toute nue, à sa merci, la seule chose que j’arrive à lui dire, c’est…
« Putain de merde ! C’est quoi, ces conneries ? »
« Pauvre idiote ! J’aurais dû te laisser mourir ce jour-là. »
Elle se prépare à m’attaquer quand je me lève d’un bond et je m’enfuis. Merde, merde et re-merde! Me dis-je. Je dois retrouver Liu et ficher le camp d’ici. J’arrive au bateau et je monte à bord, tout en criant à Liu qu’il faut partir.
« Partir ? Déjà ? Mais pourq— ? Euuuuuuuh… Saliéka, pourquoi t’es à poil ? »
« C’EST RIEN, ÇA, MAIS L’AMOUR DE MA VIE EST UNE PUTAIN DE SIRINAID ET ELLE— »
Je me tais. Taralise, ou devrais-je dire Taralong ?, est arrivé et elle grimpe sur le bateau.
« MEEEEEEEEERDE !!!! » Crié-je.
Étrangement, Taralong se contente de regarder Liu.
« Luirei ! » Dit-elle. « Aide-moi et achève le cycle de cette conne ! »
« Li…u…rei… ? » Dis-je, surprise.
« Liurei [14]! Qu’attends-tu ? » Demande Taralong. « Jette-la à l’eau ! »
« … Saliéka... tu sais, les Sirinaid... ne sont pas que des femelles. » Dis Liurei.
Je reste silencieuse. C’est impossible…
« Cette île… est à nous… Il n’y a jamais eu de trésor. C’était une ruse pour attirer des proies. » M’explique-t-il.
Lui, un Sirinaid ?
« T’es… vraiment… une idiote… tu le sais, n’est-ce pas ? »
Je n’ai pas pu lui répondre. Il m’attrape et, avec une force surpuissante, me jette par-dessus bord. Merde ! Je n’arrive pas à remonter à la surface. L’eau remplit mes poumons. Je… je vous déteste... je vous déteste tous autant que vous êtes ! Taralong, Luirei, Mérivia, Tirara, maman, papa… !!! Je me noie.
FIN DU CYCLE ROUGE
[Cycle Bleu ~ Cycle de la Pitié]
Mes yeux aigue-marine s’ouvrent sur le plafond en bois de notre chambre.
« Saliéka ? »
Je me lève doucement et je vois Mérivia, ma jeune sœur âgée de 12 ans, sur son lit. Ses yeux outremer sont grand ouverts. Nous somme toute les deux blondes.
« Salut ! » Lui dis-je.
« Salut. Je ne savais pas si tu allais te réveiller. »
« Bien sûr ! » Dis-je joyeusement. « Je dois aider papa et maman aujourd’hui. »
Notre famille a une petite boutique. On y vend toutes sortes de choses. Je vais m’habiller en moins de deux. Après avoir mis ma robe de travail, une robe noire avec un tablier, je descends les escaliers et maman m’appelle. Je vais la trouver dans la cuisine.
« Maman ? »
« Bonjour Saliéka ! Voilà, maintenant tu as 16 ans, tu es une femme— »
Elle me parle de quoi, au juste? Oh non! Mon futur mariage ! À 16 ans, toutes les filles de notre village doivent se marier. Selon mes parents, c’est une vieille tradition sacrée.
Je trouve cela un peu bête, surtout que la plupart des mariages sont arrangés. Je n’ai pas envie d’épouser un étranger. En plus, j’aime les filles. Avant, je pensais aimer les garçons, mais depuis qu’ELLE m’a sauvée, je—
« ...c’est le mari idéal pour toi ! Saliéka ? »
« Euh… Maman. Je dois te dire quelque chose. »
« *soupire* Ne me dis pas que tu vas jouer les rebelles et refuser de te marier ! »
« Non ! Enfin, je… j’aime les filles. »
« Quoi ? »
Maman n’a pas compris ou elle est en plein déni.
« J’aime les filles… les femmes. Je veux épouser une femme, maman. »
Maman reste silencieuse puis elle met à hurler comme si la maison était en feu.
« MAMAN ! Je ne suis pas un monstre, comme les Sirinaid ! Je suis ta fille et je suis attirée par les femmes. Il n’y a rien de mal là-dedans ! »
Maman ne voulait rien entendre. Elle beuglait que j’étais possédé par des mauvais esprits et autres absurdités. Voyant que je ne pouvais pas la calmer, je quitte la maison.
Normalement je devais aller à la boutique pour travailler mais j'ai préféré me rendre à la plage. C’est là où je vais quand je veux me détendre… et être seule. En chemin, je croise Tirara. Elle me demande si tout va bien.
« Oui, bien sûr, et toi ? Cours-tu toujours après les garçons ? »
Tirara rigole, tout en me disant «non». Elle a mieux à faire de son temps. Ensuite, j’arrive à la plage et, en regardant la mer, les souvenirs du passé refont surface.
J’étais toute petite. J’avais… 7-8 ans? Et je regardais la mer. Maman et papa m’ont toujours dit de ne jamais me baigner dans la mer, à cause des Sirinaid. Pourtant, je sais nager, car il y a un petit lac dans une forêt à l’est de Closehant.
D’habitude, j’obéis toujours à mes parents, mais, ce jour-là, je voulais briser les règles, alors je me suis baigné dans la mer. Au début, tout allait bien, puis j’avais entendu un chant. Sans me contrôler, j’ai plongé et l’eau remplissait mes poumons. Je me noyais… J’ai perdu connaissance.
Quand je suis revenue à moi, j'étais allongé sur la plage et une femme m'observait. Une femme nue aux longs cheveux rouge cerise.
« Oh, pardon ! » Me dit la femme. « J’ai perdu mes vêtements aux griffes des Sirinaid quand je t’ai sauvée. »
Étrangement, son corps n’avait pas de marque de griffures ou de morsures.
« Je m’appelle Taralise. Je… Je voyage beaucoup. Tu t’appelles comment ? »
C’est comme ça que je l’ai rencontré. Taralise. Je l’ai revue plusieurs fois depuis, car elle vient souvent à Closehant pendant ses voyages. Depuis qu’elle m’a sauvé la vie, j’ai – comment dire? – j’ai changé. Je pense souvent à ELLE. ELLE hante mes rêves. Je voudrais être à ses côtés. Je me suis déjà demandé si elle ne m’avait pas jeté un sort.
Regarder la mer me rend triste parfois. Les Sirinaid ont trop tué des innocents. Des Somelodiens qui ont tenté de franchir Socean pour atteindre Seahant. Selon une légende, il y aurait un trésor là-bas.
Je continue de regarder le vaste océan quand j’entends une voix m’appeler. Je me retourne et je vois Liu, le fils du mystérieux Pêcheur. Lui et son père sont les seuls qui parviennent à voguer sur Socean sans se faire dévorer par les Sirinaid. C’est un beau jeune homme, mais ses cheveux courts sont d’une étrange couleur. Un orange vif.
« Salut à toi, Saliéka ! »
« Salut Liu. »
« Tout va bien ? Tu sembles soucieuse... »
« Ce n’est rien. » Dis-je.
« Allez raconte ! » Me dit Liu.
« Mes parents veulent que je me marie. Je pense qu’ils ont trouvé quelqu’un mais, moi, j’aime les femmes. »
En m'entendant parler, le visage de Liu s’assombrit.
« Oh... » Dit-il. « Je ne savais pas, je... »
« ? »
« C’est… moi… que tu devais épouser. »
« HEIN ?! C’est une blague ? » Lui demandé-je.
Liu ne me répond pas.
« On se connait bien, toi et moi, mais… se marier ? »
Liu reste toujours silencieux. Est-il amoureux de moi ? Devrais-je lui poser la question ? Finalement, je n’ai pas eu à le faire.
« Oublie ça. De toute façon, mon père était contre cette union, et ton père lui mettait de la pression. »
« Ah bon ? C’est vrai que papa peut être têtu. »
« Parlons d’autre chose, tu veux ? » Me demande Liu. « J’ai vu Taralise il n’y a pas longtemps. »
Le visage de Liu reprend ses couleurs. Quand il a prononcé le nom de Taralise, mon cœur s'est arrêté l'espace d'un instant.
« Tu l’as vue ? Où ça ? »
Je ne sais pourquoi, mais ELLE prend toute la place dans ma tête. Je dois la voir, lui parler, et l’épouser. Il le faut, car je l’aime. Je ne sais pas pourquoi, mais je sais que je l’aime. Tant pis si ma famille ne l’accepte pas.
« Au quai. Elle voulait se rendre à Seahant. »
« Sur l’île ? Pourquoi irait-elle là-bas ? Pour le trésor ? »
« En fait… » Dis Liu, « ce n’est pas la première fois qu’elle se rend là-bas. »
« HEIN ? Quoi ? Comment ? »
Dans toutes les conversations que nous avons eues, elle ne m’a jamais parlé de Seahant. Maintenant que j’y repense, je ne sais pas grand-chose sur elle. Je sais qu’elle voyage beaucoup, qu’elle aime le bleu, les poissons… C’est tout.
« Oui. » Dis le fils du pêcheur. « Mon père a toujours refusé de l’emmener alors elle s’est toujours débrouillée seule. C’est quand même incroyable. Elle arrive à survivre aux Sirinaid— »
« Toi et ton père, comment survivez-vous aux Sirinaid ? »
Liu semble nerveux. Il bouge légèrement des pieds et il se gratte la tête. Il y a une drôle de lueur dans son regard et je suis sûr de l’avoir déjà vue avant. Dans les yeux de Taralise.
« Mon père et moi… les Sirinaid… nous avons un point commun. »
« Un point commun ? »
Il refuse de m’en dire plus. La lueur dans son regard à disparue.
« Bon, je dois retourner au quai. À plus t— »
« Liu, attends ! Je dois aller à Seahant. Veux-tu m’emmener— ? »
« Bien sûr. Viens au quai cette nuit et nous partirons. »
« Cette nuit ? Mais je veux partir tout de suite ! »
« Impossible. Les Sirinaid sont très actives pendant le jour. Pour maximiser nos chances de survie, il faut naviguer de nuit. »
« Je comprends. Merci. »
Je retourne chez moi. Les parents ne sont pas là. Ils doivent travailler à la boutique. Je ne vois pas Mérivia non plus. C’est sympa. J’attends la nuit et je vais rejoindre Liu au quai. Mérivia n’a pas tenté de m’arrêter. Elle est trop classe, ma sœur !
« Saliéka, te voilà ! » Me dit Liu. « Bon, on va prendre le bateau de mon vieux. »
« Cela ne lui dérange pas, à ton père ? » Lui demandé-je.
« Non, enfin… j’ai dû le convaincre, mais il a accepté que je t’emmène. Allez, cap vers l’île ! »
Nous montons à bord et le bateau navigue lentement sur l’océan. Liu est à la proue et je me tiens à ses côtés.
« Euh… Liu ? C’est un peu lent… Tu ne peux pas aller plus vite ? »
« Non, cela va attirer les Sirinaid. En parlant de ces créatures, je fais mieux de t’enseigner des trucs de survie. Tout d’abord— »
Je l’écoute attentivement.
« Tu as tout compris ? » Me demande Liu.
« Oui. »
Soudain, j’entendis un gros boum.
« Qu’est-ce que… ? » Demandé-je.
Liu va voir et je l’entends crier une insulte. Il revient vers moi en courant.
« Une Sirinaid s’est accrochée sur le bateau ! » Me dit-il. « D’autres vont la rejoindre bientôt ! »
« NON ! »
« Viens vite ! »
Il m'emmène vers la poupe et il s’empare d’un arc et d’un carquois rempli de flèches. Il me fait signe d’en prendre un.
« D’accord, » dis-je « mais… »
« ALLEZ VITE ! » Crie Liu.
« Je veux bien, mais je ne sais pas tirer à l’arc. »
« ... Oh... Essaie quand même. »
Je prends un arc et un carquois. Liu va tirer une flèche sur la Sirinaid, la faisant tomber du bateau. D’autres créatures arrivent en renfort et j’aide Liu tant bien que mal. Je gaspille rapidement toutes mes flèches. Quand Liu vient aussi à court, et que les Sirinaid continuent de venir, je lui dis que tout est ma faute.
« Tu vas mourir à cause de moi… »
« Ne dis pas ça. » Dis Liu pour me rassurer. « En passant, pourquoi voulais-tu aller sur l’île ? Pour le trésor, s'il y en a vraiment un ? »
« Non. Je voulais la retrouver ! »
« Taralise ? »
« C’est l’amour DE MA VIE ! »
Je n’arrive pas à croire que j’ai prononcé de telles paroles. Suis-je bel et bien ensorcelé par Taralise ? Est-ce que je l’aime vraiment ? OUI, JE L’AIME !!! Liu baisse son regard vers les planches du bateau.
« L’amour de ta vie, hein ? » Me dit Liu. « Si seulement tu savais… »
« ??? »
« Ton cycle… un cycle de Pitié… Si seulement je pouvais le changer !!! »
Soudain, il se laisse tomber à genoux et il pousse quatre longues notes. Sans que je comprenne pourquoi, les Sirinaid s’enfuient. Liu se relève et, sans rien dire, retourne à la proue. Le bateau reprend son chemin et je vois l’île se rapprocher de plus en plus.
Dès que le bateau accoste, je remercie Liu. Je débarque et je pars à la recherche de Taralise.
« TARALISE, OÙ ES-TU ? »
« Saliéka ? J’ARRIVE ! »
Elle arrive devant moi, sa peau claire recouverte d’un simple drap blanc, et j’ai l’impression de fondre.
« Que… ? Pourquoi es-tu ici ? » Me demande Taralise.
Tout s’accélère en moi. Je dois lui révéler mes sentiments et VITE !
« Depuislejouroùtum’assauvéjepensesouventàtoi— »
« Attends, attends, doucement ! »
« Jet’aimejen’aimepersonned’autrejeveuxêtretafemmeveut-tum’épouser ? »
« Quoi ? »
« JE T’AIME, JE T’AIME, JE T’AIME, JE T’AIME, JE T’AIME, JE T’AIME !!! »
Taralise semble surprise et moi aussi. Je sais que je l’aime, mais…
« Je ne comprends pas. Tu… M’aimes-tu ? » Me demande-t-elle.
« Oui ! » Je lui dis aussitôt.
« M’aimes-tu *vraiment* ? »
« OUI ! »
« On se connait à peine— »
« Je veux vivre avec toi ! »
Ce n’est pas normal.
« Je veux t’épouser !!! »
« Saliéka— »
Je perds tout contrôle sur mon être.
« Viens en moi, Taralise ! »
J’arrache ma robe, j’ôte mes sous-vêtements, et je me couche sur le sol rugueux.
« Je suis prête ! »
Elle s’approche de moi. Mon corps nu tremble de peur, et non de plaisir. Qu’est-ce que je suis en train de faire ? Vais-je vraiment lui faire l’amour là, sur une île ? Je m’attendais à ce que Taralise me saute dessus pour me faire l’amour, mais elle reste de marbre.
Son visage devient aussi froid que de la pierre. Sa voix, autrefois douce, est gutturale et de sa bouche, ne sort que de la colère.
« Pourquoi !? Pourquoi ne l'ai-je pas remarqué avant !? » Dis Taralise. « Quand je t’ai sauvé la vie… j’ai retardé ton heure, tout en t’ensorcelant ! »
Son apparence change. Ses cheveux deviennent noirs. Sa peau passe du rosé au gris.
« Une ‘‘mort dans l’eau’’. C’est ton cycle, ton destin. Rien ne peut le changer, seulement le retarder ! »
Elle jette son drap blanc et je vois des écailles noires sur sa poitrine, même sur ses seins.
« Je peux sentir les cycles des Somelodiens, tout comme mon peuple, les Sirinaid. »
Taralise est l’une d’entre eux.
« Je suis Taralong, la grande sœur de Celeong, et je suis devenue une Somelodiene pour la retrouver ! »
Malgré sa métamorphose, et le fait que j’étais toute nue, à sa merci, la seule chose que j’arrive à lui dire, c’est…
« Pitié, ne me tue pas ! Je t’aime !!! »
« Idiote ! Tu ne m’aimes pas ! Tu es uniquement sous mon emprise ! Les pouvoirs des Sirinaid séduisent autant les hommes que les femmes. »
« N-Non ! Je… je— »
« Es-tu 100% sure d’aimer les femmes ? Ce n’est pas la première fois qu’un Somelodien a un changement de sexualité dû à notre magie. »
« Ne dis pas de bêtises ! J’aime les femmes et je… je veux t’épouser ! Même si t’es une Sirinaid ! »
« Ton cycle est un cycle de Pitié… quelle tragédie… pardonne-moi, mais je ne veux pas te laisser vivre. »
Elle se prépare à m’attaquer, mais je me lève d’un bond et je m’enfuis. Non… C’est un cauchemar! Je… Je dois trouver Liu et partir d’ici.
J’arrive au bateau et je monte à bord, tout en criant à Liu qu’il faut partir.
« Partir ? Déjà ? Mais pourq— ? Euuuuh… Saliéka, pourquoi t’es à poil ? »
« C’EST RIEN ! TARALISE VEUT ME TUER, IL— »
Je me tais. Taralise, ou devrais-je dire Taralong ?, est arrivé et elle grimpe sur le bateau.
« NOOOOOOOOOOON ! » Hurlé-je.
Étrangement, Taralong se contente de regarder Liu.
« Luirei ! » Dit-elle. « Aide-moi et achève le cycle de cette fille ! »
« Li…u…rei… ? » Dis-je, surprise.
« Liurei ! Qu’attends-tu ? » Demande Taralong. « Jette-la à l’eau ! »
« Il y… existe… des mâles… Sirinaid ? » Demandé-je sans vouloir y croire.
« Oui. Je suis Liurei. Enchanté. »
« LIUREI ! » Hurle Taralong. « Cesse de faire ton charmant et accomplis son cycle ! »
« Je ne peux pas… Je l’aime. »
« Quoi ? » Demande Taralong qui n’en revient pas.
« Tu m’as entendu, mais elle ne m’aime pas. Ta magie fonctionne bien. Elle n’aime que toi. Pourquoi tu ne la rends pas heureuse ? »
« Te moques-tu de moi, j’espère? Il est hors de question qu’elle devienne ma Soulren ! »
« Une quoi ? » Demandé-je à Liurei.
« Une Soulren (soul + siren). Une sorte d’âme sœur pour les Sirinaid. Vous seriez toujours ensemble et en amour. C’est— »
« De la folie ! » Explique Taralong. « As-tu oublié son cycle, Liurei ? Une ‘‘mort dans l’eau’’. Tôt ou tard, elle va mourir, et je ne veux pas périr avec elle ! La plupart des Soulren se suicident pour joindre leurs partenaires dans l’au-delà, puis pourquoi je perds mon temps à t’expliquer tout ça, Saliéka ? Liurei, si tu ne la jettes pas par-dessus bord, je vais le faire !!! »
Sentant que ma fin approche, je supplie Liurei de me protéger. Il se contente de me regarder, les yeux pleins d’eau, avant de me jeter par-dessus bord. NON ! Je n’arrive pas à remonter à la surface. L’eau remplit mes poumons. Luirei, Mérivia, Tirara, maman, papa !!! Pourquoi…? Je… Je me noie.
FIN DU CYCLE BLEU
[1] La troisième planète du système d’Obaldor. Les historiens n’arrivent pas à s’entendre sur l’origine de son nom. C’est un mot-valise, mais provient-il de Some Melody ou bien de So Melody?
[2] Les habitants de Somelody.
[3] Notre héroïne. Son nom résulte de la fusion entre Salina et Érika.
[4] La jeune sœur de Saliéka. Son nom résulte de la fusion entre Méredy et Olivia.
[5] La meilleure amie de Saliéka. Son nom résulte de la fusion entre Tiara et Arara.
[6] Le fils d’un pêcheur. Contrairement aux autres habitants de Somelody, il a un nom ordinaire plutôt qu’une fusion.
[7] Le nom de cet océan résulte de la fusion entre Song et Ocean.
[8] Des créatures aquatiques et cannibales. Leurs noms résultent de la fusion entre Sirin et Mermaid.
[9] Le nom du village où réside Saliéka. Son nom résulte de la fusion entre Close et Chant.
[10] Une femme mystérieuse qui a sauvé Saliéka de la noyade. Son nom résulte de la fusion entre Tara et Elise.
[11] Une île. Son nom résulte de la fusion entre Sea et Chant.
[12] La véritable identité de Taralise. Une Sirinaid. Son nom résulte de la fusion entre Tara et Long.
[13] La petite sœur de Taralong. Une Sirinaid. Son nom résulte de la fusion entre Celeste et Long.
[14] La véritable identité de Liu. Un Sirinaid. Son nom résulte de la fusion entre Liu et Rei.